Le Quotidien d’Oran - 01.08.2022
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Dr Lardjane Dahmane - Conseiller et concepteur en pédagogie des
sciences de la santé.
La pratique de l’enseignement constitue la mission première de toute
faculté des sciences de la santé, et la qualité
des enseignements dispensés doit être plus que jamais au cœur des
préoccupations des
enseignants hospitalo-universitaires (HU), des doyens des facultés de médecine,
des conseils pédagogiques nationaux et des autorités facultaires. L’effort
pédagogique de toute faculté des sciences de la santé doit être centré sur les apprenants et les apprentissages d'autant
qu'il existe une relation significative entre la qualité de l'enseignement
dispensé et l'apprentissage en profondeur réalisé. De plus, toute faculté des sciences de la santé est responsable de l'ensemble du cheminement pédagogique de ses
apprenants et pour toute la durée du cursus de la formation médicale, et dont
le but ultime est de fournir à la société des professionnels de la santé
compétent et autonome.
En matière de formation médicale, les problématiques des facultés
de médecine sont de l'ordre des pratiques pédagogiques, car ces dernières
jouent un rôle fondamental dans la qualité des enseignements et des
apprentissages. Les pratiques pédagogiques forment un continuum entre les
activités, méthodes et stratégies d’enseignement, d’apprentissage et
d’évaluation en contexte des sciences de la santé. À cet effet, si l’un des
éléments des pratiques pédagogiques fait défaut, c’est toute la formation
médicale qui en subit les conséquences pédagogiques par son impact sur la
qualité de l’interactivité et la dynamique des enseignements et des
apprentissages, et dont la conséquence est le manque d’attraction des étudiants
dans les amphithéâtres. Donc, l’absentéisme des apprenants c'est aussi une
question de pédagogie. Évidemment d’autres facteurs environnementaux et
socioculturels gravitant autour de la formation médicale interviennent fortement
pour favoriser l’absentéisme des apprenants des sciences de la santé.
L’absentéisme des apprenants des sciences de la santé représente
un véritable fléau en l’absence des bonnes pratiques pédagogiques. Ces
dernières représentent un levier fondamental à l'amélioration de la qualité des
apprentissages et des enseignements en milieu de santé. De plus, il y a tout
lieu de soutenir qu'enseigner en milieu de santé n'est pas aussi simple qu'on
le prétend, mais une activité beaucoup plus complexe, car « personne ne
commence par bien enseigner, enseigner à l'université ça s’apprend », selon
Herbert Kohl.
Le but de cette contribution est de fournir des pistes de réflexion
sur le phénomène de l’absentéisme dans les amphithéâtres des sciences de la
santé, mais aussi pour un but pédagogique à des fins d’apprentissage au service
de la communauté des médecins HU. Pour ce faire, restons centré sur la
composante pédagogique, car l’environnement d’apprentissage, la culture d’apprentissage
chez les apprenants, la culture d’enseignement chez les médecins HU, la qualité
des programmes disciplinaires, la disponibilité des ressources documentaires, le
recours à des ressources documentaires extra-universitaires, la politique de
gestion pédagogique par les responsables facultaires, les impacts de l’ action syndicale
des étudiants, la
communication interpersonnelle des médecins HU
et surtout la qualité des curriculums de formation joueront également un rôle très
important sur l’engagement et la motivation autant des enseignants HU que celle
des apprenants.
En effet, un nombre important d’enseignants HU sont aux prises avec des étudiants qui
éprouvent des problèmes de motivation, et dans une moindre mesure, ils vivent
des difficultés liées à des attitudes et à des comportements particuliers en
amphithéâtre. Le degré de motivation des étudiants est à son plus haut à leur
arrivée à la faculté de médecine, mais il se détériore tout au long des études
parce que la nature évolutive de la motivation suggère qu'elle peut être liée à
des facteurs intérieurs ou extérieurs à l’apprenant. Il est envisageable que les
pratiques pédagogiques puissent, à défaut de l'augmenter, contribuer à
maintenir le niveau de motivation initial des étudiants.
La finalité sociale de toute formation est que
l’enseignant enseigne et l’apprenant apprenne. À cet effet et même dans des contextes et des conditions défavorables, le médecin HU a plus de
chance de réduire le phénomène de l’absentéisme par des pratiques motivationnelles
reliées à la personne de l’enseignant et au processus d’enseignement grâce à
des pratiques pédagogiques simples et efficaces. Ainsi, il est difficile d’agir
sur les éléments extérieurs et les facteurs peu contrôlables de l’environnement
d’apprentissage, car ces dernières ne relèvent ni de l’autorité morale ni de la
compétence administrative du médecin HU.
Par ailleurs, la qualité de la formation médicale est en net recul
malgré les efforts consentis par le corps des enseignants HU, mais cela ne
signifie nullement que les anciennes générations de médecins ont été mieux
formées que celle d'aujourd'hui pédagogiquement parlant. Il est d’emblée
important de signaler que les enseignants HU ne sont pas responsables du recul
de la qualité de la formation médicale en Algérie, car malgré un contexte très
défavorable, il est important de leur rendre hommage tout en continuant à
s'investir en enseignement et dans la formation médicale.
Pour ce faire, il est plus que fondamental de valoriser autant le
statut des enseignants HU, l'acte d'enseigner et les pratiques pédagogiques en
contexte des sciences de la santé. De
plus et étant responsable en partie de la motivation des apprenants, les
enseignants HU sont très engagés à s’investir pour procurer des apprentissages
et des enseignements de qualité, mais ils n'utilisent simplement pas les bons outils
pédagogiques pour y parvenir en l'absence de formation en pédagogie des
sciences de la santé.
Il est également important de signaler d'emblée que ce n'est pas
l'expertise ou les connaissances disciplinaires des enseignants HU qui sont
mises en cause, mais les processus d'enseignement en termes des stratégies et
d'encadrement pédagogique des apprentissages, car l'enseignement se décline
souvent selon un modèle traditionnel basé sur la transmission quantitative des
connaissances au sein d'exposés magistraux unidirectionnels. De plus, l'acte
d'enseigner est souvent plus ou moins planifié, voire improvisé, et parfois
fait appel au bon sens et à l'intuition.
Le bonheur de tout médecin HU est de procurer un enseignement de
qualité, interactif et dynamique à ses apprenants. Pour ce faire, le nouveau
paradigme stipule que la connaissance ne se transmet pas, car la tête de
l’apprenant est une boite noire. La connaissance se construit grâce à des
activités d’apprentissage variée d’autant que l’apprentissage découle de la
participation des apprenants à chaque séance de cours et cela, quelle que soit
la méthode d’enseignement.
Les qualités
personnelles d'un enseignant HU renvoient à des dimensions affectives qui font appel
à la relation pédagogique notamment les attitudes à l'égard des étudiants et la
communication interpersonnelle. En effet, la qualité des relations avec les
étudiants conditionne le climat en amphithéâtre, favorise l’adhésion et la
motivation des apprenants, et accentue et renforce l’autorité morale et
pédagogique de l’enseignant HU parce qu'elle repose sur la confiance et le
respect.
Selon une enquête sur les caractéristiques de
l’enseignant HU qui favorise l’engagement et la motivation des étudiants,
l'enthousiasme pour la matière et l'enseignement sont arrivés en première
place. Les autres éléments qui figuraient dans la liste étaient : la pertinence
de la matière, une organisation adéquate de la matière, un niveau de difficulté
approprié du contenu, l'implication active des étudiants, la variété des
activités d’apprentissage, l'établissement d'une relation pédagogique avec les
étudiants ainsi que l'utilisation d'exemples appropriés, concrets et
compréhensibles.
Du côté du contexte général des apprenants, ces derniers ont comme
but ultime les passages des différents paliers et modules disciplinaires pour
l’obtention de leur diplôme de médecine, et se consacrent par la suite au
concours de résidanat. À cet effet, l’évaluation des apprentissages pourrait
jouer un rôle de levier efficace à promouvoir des apprentissages selon les
normes docimologiques en vigueur. Pour ce faire, les modes et les outils
d’évaluations des apprentissages doivent être adaptés à la réalité du terrain
de la formation médicale et en tirer profit de ce contexte, car les apprenants
sont devenus stratégiques et ils apprennent selon les outils docimologiques
d’autant que le modèle d’évaluation le plus fréquent est le mode sanctionnant à
la fin de chaque programme disciplinaire.
Par principe, l’évaluation doit être au service des apprentissages
et non pas un outil de contrôle ou de sanction. Pour ce faire également, il est
important d’adopter une évaluation formative, continue et soutenue par de la
rétroaction efficace à partir du référentiel des compétences. Ces dernières
sont évaluées par une panoplie d’outils d’évaluation classique et modernes pour
couvrir l’ensemble des compétences acquises et développer chez l’apprenant d’où
le double intérêt de former les enseignants HU à l’évaluation des
apprentissages et à varier les outils d’évaluation des apprentissages.
Hélas, l’outil d’évaluation sous la forme de questions à choix
multiples (QCM) est le plus répandus. Il évalue souvent les connaissances
factuelles et les connaissances de base lorsqu’il est bien construit alors que
la pratique médicale est basée sur la résolution de problème grâce au processus de raisonnement
clinique (RC). Ce dernier est le fondement au
cœur de la pratique médicale des professionnels de la santé. Il
ne suffit pas de résoudre un cas ou un problème clinique, mais de démontrer les
habiletés de RC
à synthétiser puis à exploiter les informations obtenues pour
prendre des décisions diagnostiques, d’investigation et thérapeutiques. Le RC
est très peu évalué par l’outil QCM. De plus, les banques des QCM sont
recyclées à chaque examen et concours.
Elles sont connues des apprenants et font office d’activité commerciale
juteuse, car on peut se les procurer juste à côté de chaque CHU.
Finalement, oui l'absentéisme dans les amphithéâtres des sciences
de la santé, c’est précisément une question de pratique pédagogique qui
nécessite un investissement en formation à la pédagogie pour être levier contre
ce fléau. Hélas, l'absence de valorisation de l'acte d'enseigner et de la
reconnaissance institutionnelle de l'investissement en enseignement constitue
une barrière ou un obstacle majeur à l'implication et à l'engagement volontaire
des enseignants HU à se former en pédagogie, car selon Elbe « enseigner et
apprendre sont des activités interchangeables. On ne peut enseigner sans
apprendre et on ne peut apprendre sans enseigner ».